Il aura donc fallu un drame en trois actes, trois Eurogroupes, pour accoucher d’un compromis entre la Grèce et l’Eurozone, et éviter le scénario du pire, celui d’une « Grexit », la sortie du pays de l’union monétaire. Athènes a finalement obtenu une extension de quatre mois du programme d’assistance financière dont elle bénéficie depuis 2012, qui arrivait à échéance le 28 février. Mais au prix de concessions importantes pour le nouveau gouvernement Tsipras, qui avait promis aux Grecs « la fin de l’austérité ».
« Cette soirée était un moment important dans le processus de négociation avec Athènes, pour regagner la confiance. L’issue est vraiment positive », s’est félicité Jeroen Dijsselbloem, le président de l’Eurogroupe, qui a beaucoup travaillé en coulisses pour éviter un « clash » entre les Grecs et les Allemands, alors que les relations entre les ministres des finances des deux pays – Yanis Varoufakis, pour Athènes, et Wolfgang Schäuble, pour Berlin – s’étaient nettement détériorées ces derniers jours.
« Créer la confiance, c’est ce qu’on essayait de faire ces trois dernières semaines. On commence à y arriver », a ajouté le commissaire européen à l’économie, Pierre Moscovici. « Cela a été laborieux, mais constructif », a pour sa part relevé Christine Lagarde, la directrice générale du Fonds monétaire international (FMI), également présente à Bruxelles.
Au terme d’une réunion qui s’annonçait interminable et qui n’a finalement duré que deux heures, vendredi 20 février, les Européens ont donc annoncé s’être mis d’accord sur une « procédure » de renégociation du programme d’aide (130 milliards d’euros en tout). L’Eurogroupe a jugé recevable la demande d’Athènes de prolonger ce plan au-delà de fin février.
« Flexibilités »
Athènes s’engage à achever le travail du précédent gouvernement, celui du conservateur Antonis Samaras, en mettant en œuvre les réformes imposées par la troïka des créanciers – FMI, Banque centrale européenne (BCE) et Commission de Bruxelles –, pas encore toutes sur les rails. En échange, le pays pourra toucher environ 7 milliards d’euros restant à verser sur le total des crédits alloués. Athènes dispose quand même de « flexibilités » : le chef du gouvernement grec, Alexis Tsipras, pourra modifier la liste des réformes à accomplir, à condition qu’elles préservent l’équilibre des finances publiques.
Pour que l’extension de quatre mois soit validée, les Grecs devront soumettre leur liste de réformes, d’ici au lundi 23 février, pour validation par « feu » la « troïka » (Athènes a obtenu qu’on n’emploie plus ce terme, honni en Grèce, et qu’il soit remplacé par « les institutions »).
« Si tout le monde continue d’être raisonnable », précise un proche des négociations, cette liste sera confirmée politiquement le 24 février, lors d’un Eurogroupe, au téléphone. Elle permettra aux ministres concernés d’être suffisamment armés pour présenter la demande d’extension du plan d’aide grec devant leurs Parlements respectifs, qui doivent donner leur feu vert avant le 28 février. Sont dans ce cas les Néerlandais, les Finlandais, les Estoniens et les Allemands. Ces derniers ont milité pour obtenir le plus possible de détails à présenter devant le Bundestag.
Puis une période s’ouvrira, jusqu’en juin, durant laquelle cette liste de réformes des Grecs sera affinée, chiffrée, puis négociée dans le détail, avec le reste de l’Eurogroupe. Son application sera dûment vérifiée, sur place, par « les institutions ». Celles-ci opéreront des missions de contrôle, comme la « troïka » auparavant. Ces contrôles étaient aussi une exigence forte du ministre Schäuble.
Tout près du psychodrame
Durant ces quatre mois, les Européens devraient tomber d’accord avec les Grecs sur l’« après » deuxième plan d’aide. La Grèce, qui doit rembourser une énorme dette de 320 milliards d’euros – soit 175 % de son produit intérieur brut (PIB) –, n’aura peut-être pas les moyens, quand ce plan sera fini, de se financer seule sur les marchés, sans nouveau « parapluie » financier européen. En un mot, sans un troisième plan d’aide…
« L’étape la plus dure a été franchie. Même si, dans les mois qui viennent, il faudra négocier pied à pied », relevaient plusieurs sources européennes, vendredi soir, conscientes que la « nouvelle donne » entre les Européens et le gouvernement Tsipras était encore loin d’être acquise. Le compromis de vendredi, en traçant un « chemin de négociation » pour les prochains mois, permet en tout cas de sécuriser les investisseurs, et d’éviter que les marchés financiers ne s’emballent.
Car on est passé tout près du psychodrame, ces quinze derniers jours. On a même frôlé l’accident entre Allemands et Grecs ces dernières heures. Après que le ministre Schäuble a fait savoir qu’il trouvait insuffisante une première demande, pourtant très officielle, d’extension du plan d’aide, d’Athènes à Bruxelles jeudi 19 février. Ce geste était une concession importante de la part des Grecs, qui auraient préféré qu’on leur accorde un prêt-relais, sans engagement de réformes.
Si la raison l’a emporté, vendredi, « c’est parce que tout s’est joué dans les réunions préparatoires à l’Eurogroupe, sans confrontation entre M. Varoufakis et M. Schäuble », explique une source européenne. Jeudi soir, déjà, M. Tsipras avait passé du temps au téléphone avec la chancelière Angela Merkel. Elle a parlé du dossier grec à son déjeuner avec François Hollande à Paris, le lendemain, ce dernier insistant sur la nécessité de trouver un cadre stable de négociation avec Athènes. Le « deal » a été finalisé quelques heures plus tard grâce à une opération de médiation, juste avant l’Eurogroupe, entre M. Moscovici, Mme Lagarde et M. Dijsselbloem. « Ce dernier a négocié directement au téléphone avec le premier ministre Tsipras », assure un proche des discussions.
Rouvrir le robinet à liquidités
« La Grèce laisse le mémorandum derrière elle et devient coauteure des réformes et de sa destinée », s’est félicité M. Varoufakis vendredi. Certes, elle obtient le droit qu’on n’emploie plus les termes « troïka » et « memorandum of understanding » (le « plan d’aide »), contre lesquels M. Tsipras a mené toute sa campagne. La BCE pourrait rouvrir le robinet à liquidités fermé brutalement début février (l’institution n’acceptait plus de prendre les bons du Trésor grec ou des obligations bancaires grecques garanties par l’Etat, que les banques du pays lui proposent en garantie).
Mais les Grecs devront batailler avec les « institutions » pour mettre en place leurs propositions « anti-austérité »… « M. Varoufakis et M. Tsipras auraient dû signer le premier texte de compromis qui a été mis sur la table, le 11 février. Il était plus vague, donc plus avantageux pour eux », assure une source européenne. « Mais à ce moment-là, ce n’était peut-être pas possible, politiquement, de céder aussi vite face à Bruxelles », analyse une autre source.
source : lemonde.fr, Cécile Ducourtieux (Bruxelles, bureau européen)
Correspondante à Bruxelles 21/.2/2015