Mobilité sociale en panne pour les quadras
La génération née dans les années 1960 réussit moins que ses aînés. Et les enfants de cadres ne sont pas épargnés.
Les quadragénaires ont des raisons légitimes d'envier la situation sociale de leurs parents. Et d'éprouver un sentiment de frustration… Une part importante de la génération née dans les années 1960 connaît une moindre réussite que ses aînés.
Ce constat, dressé par une étude de l'Insee (1), apparaît d'autant plus injuste et paradoxal que, bien souvent, les générations qui précèdent sont moins diplômées. Le niveau d'éducation de leurs rejetons quadragénaires est, lui, sans précédent. Pourtant, ceux qui ont des diplômes plus élevés que leurs parents n'accèdent pas à des positions sociales plus intéressantes parce que le «rendement» de ces diplômes sur le marché a baissé. «Les chiffres sont effrayants», explique la sociologue Marie Duru-Bellat.
Une majorité des licenciés en lettres, par exemple, atteint au mieux un niveau d'employé de bureau quand un baccalauréat suffisait trente ans plus tôt. L'affaiblissement du lien entre diplôme et position sociale mis en évidence par l'étude «remet en question l'idée de l'avènement d'une société plus méritocratique», affirme l'Insee.
Certes, quels que soient le sexe et la génération, les «ascendants» ceux qui progressent socialement demeurent globalement plus nombreux que les «descendants» ceux qui se déclassent par rapport à leurs parents. Mais l'écart entre les deux diminue sensiblement. En 2003, 35 % des 35-39 ans connaissent une mobilité «ascendante» contre 40 % vingt ans avant, et 25 % une mobilité «descendante» contre 18 % auparavant. Cette «plongée sociale» est davantage marquée pour les femmes que pour les hommes : en 2003, 34 % d'entre elles subissaient une situation de déclassement contre 28 % qui progressaient.
Cette dégradation touche tout le monde. Les enfants de cadres, des professions intellectuelles supérieures ou des chefs d'entreprise ne sont pas épargnés. Près d'un fils de cadre sur quatre né au tournant des années 1960 est aujourd'hui employé ou ouvrier. C'est aussi le cas d'une fille sur trois. Selon l'auteur de l'étude, la tendance à la «préservation des destins sociaux», autrement dit à la reproduction sociale, s'amenuise sensiblement depuis trente ans. Les enfants des professions intermédiaires ne sont pas mieux lotis. Et les enfants d'ouvriers et d'employés ont de plus en plus de mal à dépasser le niveau de leurs parents.
Diplômes dévalués
Comment expliquer cette morosité ? Pour l'auteur de l'étude, ce sont, entre autres, les effets de la crise économique des années 1970 qui expliquent cette dynamique défavorable. Les individus nés dans les années 1940 et qui entraient sur le marché du travail pendant les Trente Glorieuses bénéficiaient d'une situation privilégiée. Ceux qui sont nés dans les années 1960 font face à la situation la plus dégradée avec une croissance en baisse et un chômage en hausse.
Paradoxe, cette dynamique morose n'est pas contrebalancée par l'élévation du niveau d'éducation. Pour réussir, lorsqu'on est né dans les années 1960, la profession du père compte plus que dans les générations précédentes, et le poids du diplôme compte moins…
Les individus, dans les années 1940, faisaient face à une école inégalitaire dans laquelle il était difficile d'entrer, mais leur position sociale finale était liée à leur diplôme. À l'inverse, pour ceux des années 1960 qui ont accédé facilement au système scolaire, les études comptent moins. En accusation : les diplômes qui sont plus nombreux mais dévalués. Car le marché du travail s'est déplacé proportionnellement moins vite vers le haut. Conséquence : une proportion grandissante de jeunes salariés occupe des emplois pour lesquels ils sont trop qualifiés.
Cette expérience de «déclassés», déjà mise en avant par des études sociologiques, tend à leur donner un sentiment de frustration et d'injustice. Un constat qui pose plus que jamais la question de la réalité de la «méritocratie», chère à la société française.
(1) «Éducation et Mobilité sociale», Camille Peugny. Insee.
Source : lefigaro.fr, Marie-Estelle Pech, 28/08/2008