LE MONDE ECONOMIE | 05.03.2015
Cinq ans après la première crise grecque, les divergences économiques et sociales persistent au sein de la zone euro. L’apparente dynamique de convergence s’est brutalement inversée, laissant apparaître un divorce entre les pays qui ont su renouer avec la croissance et ceux qui se sont engagés dans une spirale récessive.
Il n’est pas très difficile de comprendre le pourquoi d’une telle divergence. Tous les pays qui avaient connu au cours des premières années de l’euro une prospérité gagée sur le crédit ont lourdement chuté ensuite.
Plus difficile est de savoir si, la purge une fois passée, les forces de convergence vont reprendre le dessus ou si les écarts vont au contraire perdurer.
La thèse optimiste fait confiance aux mécanismes d’ajustement par les prix. La crise a été l’occasion d’une correction à la baisse des salaires. Le redressement de la compétitivité de l’Irlande ou de l’Espagne est avéré, et se traduit par un rééquilibrage des comptes extérieurs. Il serait maintenant temps de recueillir les fruits des efforts consentis.
Cette analyse néglige cependant plusieurs difficultés.
Qui a raison
La première est la dette accumulée : dette publique bien sûr, mais aussi dette privée des ménages et des entreprises. Celle-ci constitue un fardeau pour l’avenir. L’Irlande et l’Espagne continuent ainsi à porter une dette extérieure de l’ordre de 100 % du produit intérieur brut (PIB). Il va falloir, pour ne pas l’accroître, que davantage de capital s’investisse dans les secteurs exportateurs et que davantage de travail s’y engage.
Or, et c’est le deuxième facteur, les déboires passés se traduisent aussi par la faiblesse de l’investissement : en Grèce l’investissement en équipement des entreprises n’a atteint l’an dernier que 36 % de son niveau d’avant-crise. Or un déficit prolongé d’investissement amoindrit le potentiel de croissance.
Les migrations sont un troisième facteur possible : un pays dont la population active s’exile pour chercher du travail voit son potentiel productif se réduire.
L’agglomération géographique des activités à forte valeur ajoutée joue enfin contre le rééquilibrage. En 2000, le nord de la zone euro concentrait 46,5 % de la valeur ajoutée industrielle ; en 2013, c’était 51,5 %.
Il est tôt pour dire qui a raison, des optimistes ou des pessimistes. Mais force est de constater que l’Europe a tout misé sur la thèse optimiste. Elle ne s’est pas dotée des instruments d’une politique active de convergence. Il est temps, au moins, de réfléchir à ce qu’ils pourraient être.
Instrument public d’investissement
La première priorité est d’assurer un bon fonctionnement du marché des capitaux. L’épargne placée sur des dépôts bancaires en Allemagne ne retournera pas financer l’investissement en Europe du Sud. Il faut donc créer les conditions pour y orienter des flux d’investissement en actions. C’est tout l’enjeu de la construction de ce qu’on nomme dans le jargon de la Commission l’« union des marchés de capitaux ».
L’Europe a aussi besoin d’un instrument public d’investissement. Par-delà son impact potentiel de court terme, l’enjeu du plan Juncker de promotion de l’investissement est d’élargir la gamme des instruments financiers communs en mesure de participer davantage à la prise de risques.
Il faut aussi réformer les instruments de subvention. L’Europe ne manque pas de moyens, mais elle les utilise mal. Mieux vaudrait introduire de la flexibilité et de la conditionnalité dans ses dispositifs, afin de s’en servir pour appuyer les politiques de croissance d’envergure européenne et inciter les États à concourir aux priorités communes.
Il faut enfin évoquer la fiscalité. La différenciation des taux d’imposition sur les sociétés est une manière d’attirer des investissements dans les zones moins prospères. En Europe cependant, la fiscalité sur les sociétés fait l’objet d’une concurrence dépourvue de tout encadrement. Il n’est pas interdit d’espérer qu’un groupe de pays européens se réveille et mette en place un cadre de coordination de leurs politiques fiscales. Ce serait un grand progrès.
Source : lemonde.fr, Jean Pisani-Ferry (commissaire général de France Stratégie) 05/03/2015